Colonisation et Yoga
- Elisa Jouannet
- il y a 13 minutes
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Ce que nous appelons Yoga aujourd'hui, en 2025, est fort différent de ce que les pionniers de la pratique ont initié, de leur contexte historico-socio-politiquo-géographique.
Souvent assimilé (dans le sens de réduit à) aux postures et étirements, le Yoga est tendance, comme partie intégrante de la société occidentale permettant de répondre aux maux de notre contemporanéité. Pourtant, bien avant que les Anglais ne colonisent l'Inde, les pratiques religieuses/spirituelles du Yoga revêtaient bien d'autres formes.
Seuls les hommes indiens appartenant à la caste des Brahman avaient accès aux enseignements du Yoga et s'isolaient pour pratiquer profondément la conscience de Soi imbriqué dans la conscience universelle. Les rituels, méditations, mantras étaient au coeur de leurs explorations. Des personnes les nourrissaient et s'assuraient qu'ils ne manquent de rien afin que ces yogis puissent s'investir pleinement dans leur chemin d'Eveil. De multiples courants et écoles philosophiques se sont organisées au fil des siècles jusqu'à ce que l'idéologie occidentale amenée par les colons anglais ne prenne le dessus sur la culture indienne.
L'attrait pour le Yoga a changé au fil des siècles, tantôt réservé à des élites religieuses, tantôt utilisé pour des entraînements militaires ou bien plus récemment, un exercice combinant postures et théories New Age, héritage du XXème siècle.
L'intention ici n'est pas de décortiquer chaque étape de l'Histoire du Yoga, l'anthropologue et professeure de Yoga Zineb Fahsi s'en charge déjà dans son superbe ouvrage "Le yoga, nouvel esprit du capitalisme", mais plutôt de nommer, de ne pas participer au processus d'invisibilisation des racines socio-culturelles du yoga.
Comme le nome l'historienne des religions Ysé Tardan Masquelier dans un interview très enrichissant, il n'y a pas de "vrai yoga". Son évolution a connu de nombreuses transformations et l'essence même de ce que cherchaient les 'pionniers' a été adaptée, transformée, et peut-être ne correspondraient plus à nos besoins actuels. Ou bien si justement ? Mais en extrayant la quête d'Union avec l'Universel du système de castes qui est une organisation sociétale oppressante et violente. Mais alors, serait-ce encore du yoga ?
Vous l'aurez compris, capter l'origine ou la vraie manière de 'faire du yoga' semble compliqué..
Pour autant, je crois que ce qui fait sens pour moi (et peut être différent pour vous) c'est d'avoir conscience du paysage complexe dont est issu la pratique que je transmets, de passer du temps avec les questions qui découlent de cette conscience et de sentir quelles actions, messages, manières de pratiquer me correspondent ; qu'est-ce que j'ai envie que le yoga serve ?
Un culte du corps souple, fin, blanc et tonique qui exclue une grande partie de la population ? Non.
Une (bio)morale de la 'good vibes only' qui nous fait croire que nos émotions difficiles sont toxiques et intolérables en groupe ? Non.
Une doctrine religieuse qui enferme les pensées dans une seule manière de faire au détriment d'une prise d'action pour l'équité et la justice ? Non.
Un capitalisme ultra-libéral qui rachète des principes spirituels pour vendre tout en polluant la planète ? Non.
J'aspire à ce que le yoga puisse servir, à l'heure actuel, transformé et culturellement approprié à nos modes de vie actuels à questionner, réajuster, équilibrer, libérer et régénérer nos corps, esprits, environnements et relations.
Oui, le yoga est politique.
Oui, les "explorateurs" étaient des colons.
Non, le vrai yoga n'existe pas.
Mais il est nécessaire de se demander ce et ceux que le yoga colonisé sert et si les bénéfices retirés soutiennent nos écosystèmes humains et plus-qu'humains.
Chaleureusement,
Elisa

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